Portrait de Gunpei Yokoi – Créateur de génie

Portrait de Gunpei Yokoi – Créateur de génie

Parmi les grands noms du jeu vidéo, beaucoup retiennent Shigeru Miyamoto ou encore Satoru Iwata en ce qui concerne Nintendo. Mais s’il y a bien une personnalité qui peut s’asseoir à leur table mais qui ne bénéficie pas de la même notoriété, c’est Gunpei Yoko. Pilier de chez Nintendo mais surtout inventeur de génie, il n’en est pas moins que le créateur de la Gameboy et l’un des principaux acteurs de la démocratisation du jeu vidéo. Retour sur le parcours d’un homme définitivement pas comme les autres au parcours singulier.

Les origines

Gunpei Yokoi, fils de président d’un groupe pharmaceutique né et grandit confortablement et paisiblement dans le quartier de Katsura à Tokyo. Depuis tout jeune, il se découvre une passion pour les activités manuelles. Bricolage, jardinage ou encore le modélisme. C’est un enfant touche à tout qui aime créer, imaginer et construire des choses. Il se fera remarquer pour plusieurs faits d’armes comme la création d’un système de pliage pour ses créations (qui lui vaudront un article dans une revue spécialisée) ou encore pour avoir bidouillé lui-même un poste radio pour sa voiture. C’est donc un jeune garçon qui n’a peur de rien et surtout pas d’expérimenter, de bidouiller et de faire les choses qu’il souhaite mais à sa manière.

C’est donc naturellement vers l’électronique qu’il se tourne pour ses études en rejoignant la prestigieuse université Dōshisha dans laquelle il sera diplômé en 1965. Ayant une attitude créative et téméraire, il n’en restera pas moins un très mauvaise élève, celui-ci préférant s’amuser, imaginer des choses plutôt que de rester dans le pragmatisme de telles études. Talentueux et ingénieux, il sera tout de même diplômé assez aisément mais ses notes et son comportement lui fermeront les portes de grandes entreprises telles que Hitachi ou encore Panasoinic, toujours en fonction à l’heure actuelle. Il se rabats donc sur la seule solution qui s’offre à lui, une petite société qui commence à faire du bruit dans l’univers du jouet : Nintendo.

Bien évidemment à cette époque la firme de Kyoto est loin d’être celle que l’on connaît aujourd’hui et commence tout doucement à produire quelques jouets, notamment les fameuses cartes Hanafuda. Ici, pas de course à la technologie ou de jeux vidéo mais une production manuelle de cartes à jouet, un peu en mode usine. C’est dans ce contexte qu’est recruté Gunpei Yokoi en tant qu’agent d’entretien des machines. Son rôle ? S’assurer du bon fonctionnement de celles-ci. Il déclarera plus tard qu’à l’époque, il n’avait aucune idée de la raison qui l’a poussé à postuler. Il cherchait un travail stable et tranquille près de chez lui et ça s’arrête là. Toujours d’après lui-même, son emploi était plutôt fictif qu’essentiel. Naturellement, un créatif tel que lui finit par rapidement s’ennuyer et il décide donc d’optimiser son temps de travail inutile en faisant ce qu’il sait faire de mieux : bricoler.

yokoi Portrait de Gunpei Yokoi - Créateur de génie

Premières constructions

Bénéficiant d’un atelier et surtout de temps, il se mets donc à imaginer et à construire divers petits jeux, uniquement pour passer le temps en premier lieu. Il créé donc ainsi un premier gadget, une sorte de main rétractable qui permet de saisir des objets à distance. Dans l’idée ça ne sert pas à grand chose mais c’est son concept et il décide d’y accorder beaucoup d’attention, ce qui lui vaut de se faire attraper par son patron. Néanmoins, celui-ci ne s’énerve pas et au contraire, en voyant le potentiel ingénieux de son employé, lui ordonne de retravailler son concept pour en faire un jeu.

A l’époque, Nintendo ne fabriquait pas encore de jouets en interne et la firme voit donc en son employé créatif une opportunité pour s’y lancer. Il retravaille donc son concept pour en faire un jouet avec comme but d’attraper une balle et de la déposer ailleurs et c’est ainsi que naquit Ultra Hand, première création officielle de Gunpei Yokoi au sein de Nintendo. Le jouet est un succès commercial et son créateur se voit donc propulsé à la direction de la recherche et du développement fraîchement créée pour l’occasion. Une promotion éclair en somme.

Durant cette période, il va produire et inventer pas moins de 7 jouets à succès comme le très célèbre Love Tester ou encore l’Ultra Scope. Néanmoins, la crise pétrolière frappe de nombreuses entreprises en 1973, donc Nintendo qui se voit dans l’obligation de revoir ses plans et d’ouvrir ses ambitions à un tout autre secteur : la technologie.

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L’ascension d’un génie

Comme tout génie et comme pour toute création, c’est une idée bête et anodine qui va changer la face de Nintendo et surtout la réputation de Gunpei Yokoi. En effet, en 1973 alors qu’il voyage en train et de nature observatrice, il voit un homme taper frénétiquement d’ennui sur sa calculatrice. Ni une ni deux, une idée saugrenue lui vient : et si on créait un jeu électronique pour passer le temps ? A l’époque, le jeu vidéo est à peine populaire si ce n’est dans les salles d’arcade et aucun constructeur n’a comme idée ou ambition de transposer ce divertissement dans un salon et encore moins dans sa poche.

Etant exigeant avec lui-même, il ne croit pas en sa propre idée mais décide tout de même de proposer le concept à sa direction. Il déclara lui-même avoir parlé de son projet à son directeur uniquement pour tuer le temps lors d’un trajet en voiture mais sans conviction aucune. Au vu de ses précédents triomphes, Nintendo tombe amoureux de l’idée et commence directement à contacter divers fournisseurs pour mettre au point une machine qui deviendra celle que l’on connaît tous : le game and watch.

Au départ, trois version sont commercialisées (Ball,Flagman et Vermin) avec toujours Gunpei Yokoi à la supervision et à la création. Le succès est phénoménal, le public tombant tout de suite addict au concept et la vision du génie s’adapte parfaitement aux problématiques qu’il avait imaginées. Au final, des dizaines et des dizaines de versions différentes sortiront au fil des années, toutes supervisées par Yokoi. Le succès étant magistral, Nintendo quadruple son chiffre d’affaires et roule sur l’or mais vient surtout de trouver sa voie : les jeux électroniques. Le génie continuera donc à travailler sur divers projets au sein de Nintendo, contribuant même sur des oeuvres comme Metroid sur NES en tant que producteur. Inarrêtable et infatigable, il va enchaîner les contributions et les divers projets, emmenant ainsi Nintendo au sommet d’une industrie encore toute jeune pour le grand public.

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L’ère de la Gameboy

Une fois n’est pas coutume, l’histoire va encore jouer des tours (bienheureux) à Gunpei Yokoi. Alors qu’il regarde un épisode de Popeye, il souhaite transposer le concept et l’univers, notamment basé sur un épisode précis durant lequel Popeye doit sauter de plateformes en plateformes pour sauver sa bien aimé. C’est ainsi que dans son esprit et pour l’histoire du jeu vidéo : naît le jeu de plateforme. Il décide donc de faire appel à un jeune prometteur au sein de Nintendo pour l’aider, un certain Shigeru Miyamoto.

Ils commencent ainsi à élaborer les premières bases d’un jeu de plateforme avant d’être interrompu par Hiroshi Yamaochi leur demandant de rattraper le fiasco d’un jeu d’arcade ayant été conçus par une autre division. Ce ne sont pas moins de 3000 cartes mères invendues qu’il serait bon de recycler pour éviter les pertes. La question ne se pose pas : Gunpei Yokoi et Miyamoto décident donc de transposer leur concept sur ces fameuses bornes. Hélas, la licence Popeye n’étant ni disponible ni accessible, Miyamoto va donc inventer de nouveaux personnages que vous connaissez sûrement : Mario, Donkey Kong et Daisy. Le jeu Donkey Kong est né.

Surfant sur ses idées et ses succès, il invente en 1989 ce qui sera sa plus grosse réussite : la Gameboy. Reprenant le concept du Game and Watch, il souhaite en faire une plateforme n’étant plus destinée à un usage de jeu unique mais disposant d’un lecteur cartouche à la manière de la NES mais surtout d’une nouveauté révolutionnaire : un écran dynamique. Hélas, l’histoire va mal commencer.

Gunpei Yokoi étant toujours l’éternel passionné un peu rêveur et amateur, il va sans le savoir signer un contrat monumental avec Sharp pour l’application d’écrans style game and watch sur le premier prototype de la Gameboy. Ce qui va naturellement tourner au fiasco quand sa direction va réaliser qu’on n’utilise pas une Gameboy comme un game and watch et que la lisibilité est donc désastreuse. Le problème étant que les chaînes de montages proposées par Sharp sont déjà en chantier et donc l’argent se dépense déjà.

Pour se rattraper, il décide donc de prendre ses responsabilités et de concevoir son propre écran avant de le soumettre à sa direction. Durant cette période, il connaîtra des moments de stress intenses, entrant même en malnutrition et songeant de nombreuses fois au suicide. Mais au final, le travail paye, son projet d’écran est validé et le go est donné : la Gameboy sort en Avril 1989 et la suite de l’histoire vous la connaissez : le succès est monumental. Avec plus de 118 millions de consoles vendues, celle-ci entre dans la légende et permet à Nintendo de rouler sur l’or pour un bon moment mais surtout : offre ses lettres de noblesses à Gunpei Yokoi.

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La tâche sur le tableau

Hélas, toute bonne histoire comporte ses moments plus sombres. Suite à tous les succès dus en partie à Gunpei Yokoi, Nintendo n’est plus le petit fabricant indépendant mais bel et bien une multinationale qui rivalise avec les plus grandes industries du Japon. Il n’est plus question du petit artisan de l’atelier à qui l’on va confier un projet ou ce genre de choses. La course à la technologie est lancée et des milliards de Yen sont investis chaque année avec les chantiers de la Nintendo 64 notamment.

Mais cela ne plaît plus à Gunpei Yokoi qui veut retrouver ce côté artisanal et “débutant” et c’est en 1989 qu’il commence à envisager son départ. Etant Japonais et donc conditionné au même sens de l’honneur, il refuse de partir sans un ultime cadeau à sa compagnie qu’il apprécie tant. Révolutionnaire dans l’âme, il va réfléchir et mettre au point un projet autour d’une thématique (qui ne décollera au final que 31 ans plus tard) : la réalité virtuelle.

C’est ainsi qu’il conçoit le virtual boy, une machine futuriste sous forme de casque qui est supposée transposer le joueur au coeur du jeu. Si l’idée est extraordinaire en 1989, le résultat s’avère catastrophique. Premièrement, l’expérience crée beaucoup trop de nausées mais la console souffre surtout d’une concurrence interne avec la Nintendo 64. Là ou celle-ci offre des environnements colorés en 3D, le Virtual Boy se contente d’une simili 3D affreuse pour les yeux et qui causera notamment beaucoup de problème épileptiques à certains joueurs. Le fiasco est absolu et la console est toujours à l’heure actuelle considérée comme la pire de l’histoire… Au final, l’idée de Gunpei Yokoi était extraordinaire, en témoigne aujourd’hui le PlayStation VR ou l’Oculus Rift mais hélas, le monde n’était pas prêt que ça soit technologiquement ou même psychologiquement.

Suite à cet échec désastreux, Gunpei Yokoi attendra avant de quitter l’entreprise (notamment pour ne pas partir sur un aveu d’échec) et se permettra une dernière petite création : la Gameboy Pocket. C’est donc en 1996 que l’histoire d’amour s’achève entre Nintendo et le génie inventeur et à l’heure actuelle, son empreinte résonne encore dans l’esprit et les locaux de la firme de Kyoto. Il est une légende intemporelle de Nintendo qui n’en serait pas là sans son intelligence et sa folie qui lui sont propres.

La fin d’un règne

Etant très apprécié par plusieurs collaborateurs au sein de Nintendo, il arrive à en convaincre certains de le suivre dans son nouveau projet. En effet, étant obnubilé à l’idée de retrouver cet “esprit start-up” et cette indépendance créative et économique, il fonde ainsi sa propre société Koto Labory. Il ne lui faudra que très peu de temps pour être approché par Bandai, bien conscient de l’impact de l’homme sur l’industrie du jeu vidéo mais surtout de ses créations et particulièrement d’une : la Gameboy. En effet, à cette époque Nintendo continue de dévorer seul le gâteau du marché des consoles portables, raison pour laquelle Bandai veut s’immiscer en profitant de ses nombreux partenariats (Square par exemple) et quel meilleure personne pour inventer un concurrent à la Gameboy que son créateur lui-même ?

Gunpei Yokoi prends donc Bandai comme client et ainsi ils conçoivent une console très intéressante et jamais sortie hors de l’archipel Nippon : La Wonderswan. Loin d’arriver à la cheville de la Gameboy au niveau des ventes, elle n’en reste pas moins un petit succès. Bien plus puissante et moins limitée que sa concurrente, elle propose des jeux intéressants, colorés et parviens tout de même à toucher le marché chinois.

Malheureusement, c’est le jour du 4 octobre 1997 que Gunpei Yokoi se fait renverser sur le bas côté d’une autoroute après un accrochage bénin. Agé de 56 ans, il ne survivra pas à ses blessures et s’éteindra ce même jour, laissant derrière lui un vide profond dans l’industrie mais surtout un héritage intemporel. Gunpei Yokoi n’était pas que l’inventeur de la Gameboy, mais bel et bien un génie aux pensées philosophiques époustouflantes et à l’aura inoubliable. Il aura notamment instauré le concept de la “pensée latérale des technologies désuètes”. Là où le commun des mortels tente d’aller plus loin technologiquement et de découvrir des choses, Gunpei avait une vision totalement différente.

A la manière d’Antoine de Lavoisier, avec lui rien ne se perds, rien ne se crée. Ainsi, il avait pour habitude de se servir d’une technologie en fin de vie pour en faire un usage novateur et totalement différent, ce qui fut le cas pour les game and watch, se servant d’écrans de calculatrice pour devenir de vraies consoles de jeux. C’est une méthodologie qui lui permis de créer de nombreuses choses, allant de l’Ultra Hand à la fameuse Gameboy. Et c’est surtout ce qui permis à Nintendo de faire des économies monstrueuses leur permettant ainsi de capitaliser sur leurs réussites à moindres coûts pour devenir la société qu’elle est aujourd’hui.

Un héritage intemporel

Gunpei Yokoi n’est peut-être pas l’acteur le plus populaire de l’industrie du jeu vidéo, n’ayant pas été quelqu’un de très médiatique et n’ayant jamais été un réel businessman ou homme de communication. C’était avant tout le petit bricoleur de génie du coin, se laissant porter par ses idées, ses inspirations et ses concepts novateurs sans même qu’il s’en rende compte. A son arrivée chez Nintendo, il y trouva l’environnement parfait pour son mode de fonctionnement et sa personnalité et sans le vouloir, il transforma non seulement la compagnie mais surtout l’industrie du jeu vidéo et le Japon en lui-même. Un homme de valeurs, passionné et passionnant qui jusqu’à son dernier souffle, offre au monde des inventions inoubliables.

Merci pour tout Gunpei Yokoi.

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